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Après les assassinats à Charlie-Hebdo: liberté, responsabilité, débat

Les médias ont-ils fait correctement leur travail pendant les journées noires de janvier ? Dans l’ensemble, sans doute. La question s’est toutefois très vite posée, au vu de différentes bévues qui ont pu choquer. Et en particulier : la révélation le premier jour du nom d’un suspect, innocenté par la suite ; la mise en cause sans vérification de l’authenticité de la relation entre le dessinateur assassiné Charb et sa compagne, l’ancienne ministre Jeannette Bougrab ; la publication à la « une » d’un hebdomadaire d’une photo montrant l’assassinat à terre d’un policier dans la rue… D’autre part, le traitement à chaud et en continu par les divers médias audiovisuels a été mis en question et discuté. Des journalistes se sont expliqués sur divers plateaux, et le CSA a provoqué une réunion avec les responsables des chaînes.

En définitive, deux thèmes principaux ont été mis au jour : la responsabilité des médias et des journalistes à l’égard des otages et des forces de police en action ; leur responsabilité à l’égard des divers publics. Elle n’entrent pas dans le champ de la loi, mais dans celui de la déontologie, c’est-à-dire des règles que l’on se donne en matière d’éthique professionnelle. Et l’on sait qu’en France il n’existe ni code de déontologie s’imposant à tous ni instance chargée de le faire respecter. En l’occurrence, les manquements cités ci-dessus ont trait à la fois à la véracité de l’information et au respect des personnes.

Combattre pour la liberté d’expression est un des premiers  devoirs « déontologiques »

Une autre question est posée, bien évidemment, par la nature même du premier attentat et par les réactions hostiles à l’hebdomadaire : quelles limites à la liberté d’expression ? La loi, là encore, ne dit pas tout. La liberté d’expression et d’information est un combat pour lequel meurent chaque année de très nombreux journalistes sur la planète ; Reporters sans frontières vient encore de rappeler cette macabre et honteuse réalité. Ce combat fait partie des premiers devoirs « déontologiques » d’un journaliste et d’un média. En cette matière comme dans d’autres (on pense par exemple à la santé, à l’éducation, à la vie publique…), la liberté ne se conçoit pas sans l’exercice de la responsabilité à l’égard des personnes et des groupes auxquels l’on s’adresse. Chaque média, chaque journaliste, la profession dans son ensemble, sont responsables et doivent apporter leurs réponses.

Qu’on ne se méprenne pas : Charlie hebdo et ses « unes » provocatrices ne peuvent être considérés ni hors-la-loi (le sacrilège et la dérision ne sont pas des délits) ni comme un manquement au respect des personnes et des groupes.

Après les assassinats à Charlie-Hebdo: liberté, responsabilité, débat dans Actualités la-frontiere-300x137L’achat de ce journal n’est pas une obligation, et son mode d’expression, par l’humour acide et la caricature de mauvais goût notamment, n’est pas en contradiction avec les règles de vie de nos sociétés européennes. A chacun au vu de son éthique, à la collectivité professionnelle avec la sienne, de faire ses choix.

Que les personnes et les groupes brocardés puissent s’en offusquer et le dire est légitime : le débat, la confrontation des points de vue, sont consubstantiels  à la vie démocratique. Qu’ils mettent en cause par ce biais la liberté d’expression et d’information ne l’est pas. Yves AGNÈS

La critique des médias est légitime et nécessaire, mais il ne faut pas tout mélanger

Le débat sur le contenu de l’information est nécessaire. Chaque citoyen, chaque groupe, peut et doit s’interroger sur la façon dont il est informé. C’est une des conditions  de la démocratie. Ces derniers mois, ces légitimes questionnements tournent à la mise en accusation systématique. Souvent en mélangeant beaucoup de choses, par calcul ou par ignorance.

Ainsi liberté d’expression et liberté d’information. La première est clairement définie dans l’article 19 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 comme le droit de l’individu à exprimer une opinion. Mais être journaliste ce n’est pas simplement user de cette liberté d’expression. C’est prendre la parole dans l’espace social en respectant des valeurs qui sont la recherche de la vérité, l’exactitude, l’indépendance, l’impartialité, le respect du public et la responsabilité. Cela exclut du champ journalistique rumeur, spéculation, désinformation, qui en revanche font les belles heures des libres expressions. « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres », nous rappelle la maxime de Beaumarchais. Et la distinction entre faits et opinions est essentielle, comme le soulignait Hannah Arendt  : « Les faits sont les matières des opinions, et les opinions, inspirées par différents intérêts, et différentes passions, peuvent différer largement et demeurer légitimes aussi longtemps qu’elles respectent la vérité des faits » (2). Certains invoquent alors le pluralisme pour justifier leur colère. Là aussi les contresens abondent. Le pluralisme n’est pas l’expression dans un même titre de toutes les opinions. Il est dans la plus grande diversité possible des sources accessibles pour le public. Il est ainsi mieux assuré dans le paysage audiovisuel depuis la fin du monopole de diffusion (1982). La loi charge le CSA d’assurer une offre pluraliste à  travers les autorisations d’émettre. Les conventions ou cahiers des charges des diffuseurs reprennent da façon plus ou moins impérieuse cette notion. A titre d’exemple, le cahier des charges de Radio France lui fait un devoir d’ « assurer l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion (…) et l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information » (3). Et encore cela ne signifie-t-il pas qu’il faille ouvrir l’antenne à n’importe quel propos : certains ne sont pas des opinions, mais des délits définis par la loi.

Ne pas critiquer la ligne éditoriale au nom de la déontologie

Il faut aussi distinguer information et communication. Les lignes bougent partout et le mélange des genres gagne. Plus que jamais Information et communication doivent  être clairement séparées. L’une et l’autre portent des faits à la connaissance du public. Pour la première dans le seul but d’informer ce public de la façon la plus neutre et la plus complète possible, afin qu’il se fasse sa propre opinion. Pou la seconde dans un but intéressé, commercial, électoral, d’influence. La communication sert un intérêt particulier quand l’information est au service de l’intérêt général.

Il y a enfin souvent  confusion entre ligne éditoriale et déontologie. L’accusation de non respect de la déontologie est à la mode. Homme politique confronté à un sujet délicat voire objet d’une enquête, citoyen choqué par le contenu d’un journal télévisé, commentateur d’un article en ligne en désaccord avec ce qu’il vient de lire, tous ont facilement le rappel à l’ordre déontologique à la bouche ou sous la plume. Mais bien souvent, il n’y a pas viol des règles professionnelles du journalisme. Il s’agit plutôt de l’expression de la ligne éditoriale du journal, c’est-à-dire du libre choix pour une rédaction de traiter tel sujet sous tel angle et de s’abstenir de traiter tel autre. Il est parfaitement loisible de dénoncer ce choix, et d’argumenter pour critiquer cette ligne éditoriale. Chacun le fait au nom de ses propres choix, qu’il doit assumer sans avoir besoin d’invoquer la déontologie du métier de journaliste. Certains estiment même que les médias n’informent pas les citoyens de la réalité du monde, qu’ils sont les « chiens de garde » d’un système global qu’ils combattent. D’où leur critique, parfois radicale, du contenu des médias. Cette approche va le plus souvent au-delà du rappel de règles déontologiques. Elle relève d’une lecture politique de la société et de ses acteurs qui est, qu’on la partage ou pas, légitime. Pierre Ganz

(1) « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

(2) « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

(3) : voir ici : http://www.acrimed.org/article4276.html

(4) Article 4 du cahier des charges de Radio France http://espacepublic.radiofrance.fr/sites/default/files/cahier_des_charges_Radio_France.pdf

 

 




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