L’immobilisme de certains ne doit pas obscurcir le chemin
Fin 2006, création de l’APCP. L’idée d’une autorégulation déontologique de l’information, agitée depuis un siècle et sans cesse repoussée par la profession, a rejailli au début des années 1990 après quelques dérives de belle ampleur (affaire Grégory, Timisoara, Guerre du Golfe, fausse interview de Fidel Castro…). Pour être aussitôt remisée au tiroir, malgré les exhortations des politiques et de la société civile, qui voient les médias français s’enfoncer dans la médiocrité et le contentement de soi (rapport Vistel, avis de Commission nationale consultative des droits de l’homme, avis de Conseil économique et social notamment). L’universitaire Claude-Jean Bertrand prêche dans le désert avec ses MARS (moyens d’assurer la responsabilité sociale des médias).
En Europe après la chute du bloc soviétique, et dans le monde, l’appel à l’intelligence des professionnels et au dialogue constructif avec le public est la base de nombreuses réformes. En France, le chacun pour soi, l’immobilisme et une certaine arrogance à l’égard du public qui vous fait vivre perdure. L’APCP affronte d’abord les ricanements, les remarques sceptiques, l’ironie et surtout les réactions virulentes de ceux qui, les œillères idéologiques rivées au cerveau, se complaisent dans le déni de réalité et le refus d’affronter celle-ci. « Vous voulez attenter à la liberté des journalistes ? », « A celle des éditeurs ? » Bien évidemment non, puisqu’il s’agit du contraire : renforcer la liberté d’information, qui ne peut être totale sans l’exercice – réel et non supposé – de la responsabilité à l’égard du public.
Puis le tabou a été brisé, l’idée a pu se frayer un chemin dans cet océan d’indifférence teinté d’hostilité. Les Assises du journalisme, les Etats généraux de la presse écrite de 2008, les colloques et innombrables rencontres que nous avons initiés ou auxquels nous avons participé y ont été pour beaucoup. L’oreille attentive et l’engagement de certains syndicats de journalistes, organisations d’éditeurs et de la société civile, ont démontré que le particularisme français pouvait être dépassé, qu’il ne s’agissait pas d’une utopie mais d’une nécessité vitale pour la démocratie, pour les médias eux-mêmes et pour des journalistes largement décrédibilisés auprès d’un public désabusé et en attente d’un geste fort. Le débat est loin d’avoir atteint la société comme dans d’autres pays (on pense notamment au Royaume-Uni), en raison de l’omerta médiatique sur le sujet (voir Le Bulletin de l’APCP n° 48, juin 2015). Mais il est présent désormais dans la profession, notamment parce que trois des six syndicats de journalistes (représentant 70 % aux récentes élections de la carte professionnelle) soutiennent ce projet.
Trois faits marquants sont venus ensuite raffermir, s’il en était besoin, notre conviction. D’abord la création de l’Observatoire de la déontologie de l’information, à notre initiative, en septembre 2012. D’importants médias écrits et audiovisuels, des syndicats de journalistes et d’éditeurs, notamment, l’ont rallié. Ses deux premiers rapports annuels ont reçu un accueil favorable. Surtout, l’ODI fait en permanence la démonstration que sur le terrain de la déontologie – contrairement à ce que certains veulent faire croire – il n’y a pas d’affrontements entre journalistes, éditeurs et « public », chacun apporte son regard, son jugement sur les cas de manquement à la déontologie que l’actualité apporte en permanence. Dans le respect de tous (comme cela se passe dans presque tous les conseils de presse dans le monde). Son objet même montre ses limites, car il s’est interdit de répondre aux questions qui lui sont adressées en prenant position, en donnant son avis sur tel ou tel cas, ce qui est l’objet premier d’un conseil de presse.
Il y a eu ensuite le rapport de Marie Sirinelli, commandé à notre sollicitation par l’ancienne ministre de la culture et de la communication Aurélie Filippetti et remis le 23 février 2014. Un tour d’horizon complet, sans a priori, qui montre avec éloquence que le fruit est en train de mûrir : « la majorité des acteurs concernés, constate la magistrate, paraissent favorables, ou à tout le moins non opposés, à la création d’une instance, mais aucun consensus ne semble, à l’heure actuelle, se dessiner sur le sujet ». Mais les irréductibles ne désarment pas et à court d’arguments, n’hésitent pas à créer et entretenir une désinformation radicale sur notre projet de création d’une instance de… déontologie !
Les prises de position de la nouvelle ministre Fleur Pellerin ont, pour la première fois, affirmé le soutien de l’exécutif à la mise en place volontaire d’un conseil de presse. Elle l’a clairement fait savoir lors des Assises du journalisme d’octobre 2014, saluant le rôle-clé de l’ODI, indiquant que « la dynamique créée a vocation à s’amplifier, et peut constituer le socle d’une véritable autorégulation de l’information à la française ». Elle a enfoncé le clou dans u discours du 2 juin 2015, à propos des aides à la presse (lire page 1). Elle y évoque des conditions d’obtention de ces aides, notamment l’adhésion des journaux « à un organisme collectif de vigilance en matière de déontologie ».
Derrière la création d’un conseil de presse, il y a en effet plusieurs questions fondamentales en jeu. D’abord et contrairement à certains détracteurs, c’est l’instrument adéquat pour conforter et défendre la liberté d’expression et d’information. Et c’est, en corollaire, le droit des citoyens d’une société démocratique à disposer d’une information de qualité : seul un conseil de presse peut combattre la pente fatale collective vers la médiocrité. C’est aussi l’affirmation que l’instance chargée d’y veiller doit associer les parties prenantes : éditeurs, journalistes, représentants du public. Celui-ci a son mot à dire, autrement que par des commentaires hargneux en réaction à ce qui est publié ou diffusé. Une balise, un phare qui indique les récifs dangereux. Y.A.
Lire ici le projet de l’APCP
Commentaires récents