Les faits remontent à 2006. Au cours d’une manifestation de rue à Helsinki contre une réunion Asie-Europe, Markus Pentikäinen, un photographe du magazine Suomen Kuvalehti est arrêté alors qu’il couvrait les violences survenues après la dispersion du cortège. Il passera 17h30 en cellule. Poursuivi pour ne pas avoir quitté les lieux des incidents malgré les injonctions, le photographe a été condamné par la justice finlandaise pour désobéissance à la police, mais dispensé de peine.
Markus Pentikäinen a contesté cette décision au nom de la liberté d’expression devant les juridictions finlandaises, puis devant le Cour Européenne des Droits de l’Homme. Celle ci a statué deux fois , devant la chambre compétente puis en Grande Chambre, qui fait office de seconde juridiction d’appel. Dans les deux arrêts, les juges européens ont estimé que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’expression, n’avait pas été violé par la Finlande.
La Grande Chambre a rendu sa décision – elle est ici – le 20 octobre. Elle donne raison à l’état finlandais qui plaidait que le requérant n’avait pas été empêché de faire sont travail. Dans ses attendus, elle reproche au photographe d’être resté « à l’intérieur de la zone bouclée par la police avec le noyau dur des manifestants » et ne s’être pas clairement distingué ce ceux ci. Elle estime qu’il n’a pas « fait connaître sa qualité de journaliste de manière suffisamment claire auparavant, pendant le déroulement des événements ». Si Markus Pentikäinen ne portait effectivement pas de brassard de presse sur le terrain, il affirme avoir décliné sa fonction, et il n’est pas contesté qu’il a été identifié comme journaliste du Suomen Kuvalehti dès son placement en garde à vue. La Cour n’a pas retenu ces faits comme constitutif par les autorités finlandaises d’une atteinte à la liberté d’expression: elles n’ont pas , écrit elle » empêché les médias de couvrir la manifestation ou entravé leur travail » et « le requérant n’a pas été empêché de faire son travail de journaliste pendant ou après la manifestation« .
Mais quatre des dix-sept juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dont son président, ont publié un avis dissident. Ils y soulignent que sur place le photographe « n’était qu’un simple tiers impartial qui observait, en qualité de journaliste et dans l’intérêt du grand public, le déroulement d’un événement sociétal très important en Finlande » et que cela pouvait « prévaloir sur son devoir d’obtempérer aux ordres donnés aux manifestants par la police ». Notant qu’il a été arrêté lors de l’assaut contre le dernier carré de manifestants, ces quatre juges écrivent que « c’était à ce moment précis qu’il était essentiel pour les journalistes, au regard de l’article 10 de la Convention, de pouvoir observer les choix opérationnels effectués par la police s’agissant de l’interpellation et de la dispersion des derniers manifestants pour garantir la transparence de l’action de la police et l’obliger à rendre des comptes, le cas échéant« . Ces quatre juges dissidents notent enfin que le maintien du photographe en détention pendant 17h30 l’a empêché de faire son travail d’informateur et de communiquer ses photos à son journal.
La Fédération Européenne des Journalistes s’est émue de cette condamnation. Son secrétaire général, Ricardo Gutiérrez craint que cette décision ne donne aux gouvernements européens une « latitude considérable pour imposer des mesures intrusives sur l’activité journalistique dans les lieux publics où la force est utilisée par des fonctionnaires de police« . Dirk Voorhoof professeur de droit belge auteur de travaux sur la liberté de la presse et la démocratie s’inquiète de l’impact de cette décision, qui peut avoir un « effet dissuasif important sur l’activité journalistique dans des situations similaires ». Ce que Markus Pentikäinen lui-même exprime ainsi « Si un journaliste doit toujours avoir peur de se faire arrêter et de devoir répondre d’accusations criminelles dans de long processus judiciaires , cela aura un grand impact sur les décisions que nous avons à prendre sur le terrain, comme : « rester ou ne pas rester ? ». PG.
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