Les réseaux sociaux sur lesquels s’expriment les journalistes ne sont pas en dehors de la sphère d’analyse d’un médiateur. Témoin un avis de Pierre Tourangeau, l’ombudsman de Radio-Canada, qui a récemment donné partiellement raison à un plaignant. Dans un document de trente-trois pages contenant une centaine de références et autant de liens Internet (..!), celui-ci faisait trois reproches au producteur-animateur d’une émission de la radio ICI Radio-Canada Première. Elle était consacrée le 7 mars 2015 au Gamergate, un fil de discussion sur Twitter qui dénonce la collusion entre les critiques de jeux vidéo et l’industrie du jeu, mais est aussi remarquable par la misogynie qui s’y exprime.
Oui, dit l’ombudsman à l’issue d’une longue analyse argumentée et documentée, le producteur de l’émission était fondé à « angler » son sujet sur la misogynie récurrente de cette agora virtuelle qu’est le « hashtag Gamergate » sur Twitter, surtout la veille du 8 mars (journée internationale de la femme). Non, l’annonce de l’émission sur sa page Facebook n’était pas une prise de position, mais un texte accrocheur, « ironique et promotionnel », dont l’objectif était « d’éveiller la curiosité de l’auditeur pour l’amener à écouter l’émission du lendemain. »
En revanche, Pierre Tourangeau retient le troisième grief formulé : dans un échange avec le plaignant sur sa page Facebook, le journaliste a qualifié ce dernier de « négationniste » , outre quelque jurons et noms d’oiseau à son adresse. « Propos inappropriés », tranche le médiateur, qui rappelle que les journalistes de la chaîne sont tenus de respecter sur les réseaux sociaux les mêmes valeurs et règles éthiques que sur les autres supports. Pierre Tourangeau souligne, notamment à l’adresse des jeunes journalistes familiers de Twitter et Facebook, qu’il ne faut pas se laisser entraîner sur les réseaux sociaux « par le contenu, le ton, le franc-parler, voire l’irrévérence des commentaires qu’ils reçoivent, à débattre parfois « vigoureusement » et à porter des jugements sur les opinions de leurs interlocuteurs ».
Et il conclut en posant que « sur le terrain des médias sociaux, encore relativement vierge et mouvant, les journalistes et leurs semblables doivent absolument apprendre à garder leurs distances, seul moyen de protéger leur impartialité et leur crédibilité. » Cela vaut même dans l’utilisation personnelle des médias sociaux, car « l’association professionnelle avec Radio-Canada » est réputée permanente. Les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de la chaîne canadienne posent que « l’expression d’opinions personnelles sur des sujets controversés ou d’ordre politique peut miner la crédibilité du journalisme de Radio-Canada et éroder la confiance de notre public ».
En bref, le journaliste de Radio-Canada ne cesse jamais complètement de l’être, même quand il s’exprime sur des sujets d’actualité à titre personnel. P.G.
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