Intervention d’Yves Agnès à l’assemblée générale du 15 janvier 2015

 L’APCP a tenu le 15 janvier son assemblée générale annuelle. Cette AG a été l’occasion   pour son président Yves Agnès de dresser à grands traits un bilan de notre action  depuis 8 ans, « un travail de défrichage qui a  brisé un tabou ». Lire ci dessous les principaux points de l’intervention d’Yves Agnès

Fondation

Le 8 septembre 2005, une douzaine de membres de l’Alliance internationale de journalistes tiennent une réunion à la Fondation Charles Léopold Meyer pour le progrès de l’homme (FPH). Un nouveau venu, votre futur président, vient d’achever un livre sur les dérives de l’information en France. Les sujets abordés reflètent bien la tonalité « alternative » de cet aréopage : Université du développement durable, pétition « pour une information équitable », Responsabilité sociale des entreprises, Forum de Porto Alegre… La campagne référendaire sur la Constitution européenne est présente en filigrane. Parmi les décisions : « un travail d’approfondissement des « conseils de presse » dans l’objectif de promouvoir en France une régulation citoyenne de l’information (… et de) créer un contexte de mobilisation en faveur de la création d’une autorité régulatrice ».

Un an plus tard, la réflexion sur ce thème a avancé et un projet de « conseil de presse sur Internet » a été discuté, qui serait composé de « journalistes, patrons de presse, utilisateurs de médias, spécialistes des médias, enseignants en journalisme »

Le 28 novembre 2006 se réunit l’assemblée générale constitutive de l’APCP. Dix « membres fondateurs »[1] élisent un  bureau de quatre membres, dont un président, Yves Agnès, et un secrétaire-trésorier, Jean-Luc Martin-Lagardette. Ce dernier a été dès le départ le promoteur inspiré de cette perspective, et les débuts de l’association portent sa marque. Pourtant, l’évolution vers une proposition d’instance de déontologie de l’information plus institutionnelle, et prenant appui notamment sur la configuration spécifique du paysage français des médias et des journalistes, s’imposera à la majorité ; cette perspective ne sera plus remise en cause, comme on a pu encore le vivre récemment avec le projet des « Indignés de Paf ».

Aujourd’hui, cinq des « membres fondateurs » sont encore présents dans nos rangs : outre Yves Agnès et Jean-Luc Martin-Lagardette, Manola Gardez, Philippe Merlant et Bertrand Verfaillie. Au fil des années, on a pu observer l’élargissement de notre APCP à d’autres professionnels et à des organisations de la société civile. Le ciment commun est la nécessité de l’action vers notre objectif, alliée à l’ouverture que nous avons toujours prônée, respecté et fait vivre : à l’APCP chacun, quel que soir son engagement politique, syndical, confessionnel, citoyen, doit être à l’aise, c’est tout simplement l’esprit qui devrait animer notre société tout entière

Longue marche

Je me souviens d’une réflexion que l’un ou l’une d’entre nous avait exprimée dans les premiers temps de l’association – « quand nous aurons créé un conseil de presse, dans un an… » –  et de ma remarque : « si nous en faisons accepter l’idée d’ici cinq ans, je serai très satisfait »… La vie de l’APCP, depuis huit ans, été une « longue marche » ; il nous a fallu avancer pas à pas, exister, proposer, convaincre, rassembler… Quels sont aujourd’hui nos principaux acquis ?

Le tabou auquel nous nous heurtions en 2007 a été brisé. L’idée d’une instance nationale indépendante de déontologie de l’information, si elle est discutée, voire combattue par certains, est maintenant présente dans les problématiques du journalisme et des médias. Notre travail de défrichage pour présenter un projet crédible, volontairement inachevé, a contribué à rendre l’idée acceptable et a servi de base aux prises de position ultérieures.

L’un de nos plus beaux succès a été de « réveiller », en quelque sorte, l’intérêt des syndicats de journalistes pour un objectif qui a été le leur, bien avant d’être le nôtre.  Les prises de position récentes du SNJ, du SJF-CFDT, du SJ-CFTC le montrent. Les réticences, voire plus, du SNJ-CGT trouvent leur explication dans une vision très politique de l’action syndicale, qui peut nous paraître parfois éloignée de l’intérêt général de la profession d’une part, mais surtout des attentes des publics concernant l’information d’autre part. Nous ne désespérons pas toutefois de le rallier, et le contact n’a jamais été rompu. Quant aux patrons de médias et surtout leurs organisations, c’est encore là que se trouvent les résistances, sur des oppositions de principe fort peu argumentées et largement contradictoires avec la réalité des conseils de presse à l’étranger. Et d’autant plus incompréhensibles que leurs propres organisations internationales, notamment l’Association européenne des éditeurs de journaux, sont engagées en faveur de l’autorégulation en matière de déontologie de l’information…

La sphère politique est aujourd’hui non seulement sensibilisée, mais largement acquise à notre perspective, sur l’ensemble du spectre. Les difficultés persistent sur les moyens à mettre en œuvre pour y arriver, les gouvernements n’osant pas jouer un rôle actif de médiation, comme nous l’avons proposé, par crainte de réactions patronales, même pour l’équipe actuelle après une prise de position unanime du Bureau national du Parti socialiste au printemps 2013 en faveur d’un code et d’une instance… Pourtant, pour la première fois et grâce à l’interpellation de l’APCP, un audit ministériel a été réalisé. La nouvelle ministre de la culture et de la communication Fleur Pellerin a affiché à l’automne 2014 son engagement en faveur de la déontologie de l’information. C’est une première.

Notre plus gros handicap reste, paradoxalement, la société elle-même. Elle ignore globalement tout de notre problématique, alors que le public est le premier concerné et réduit à maugréer contre médias et journalistes par sondages ou communication électronique interposés… La raison en est simple : le blackout quasi général des médias sur la question empêche toute information large sur la nécessité d’un conseil, seule réponse efficace à cette défiance grandissante que nous constatons. Un vrai débat, pourquoi pas vif, arguments contre arguments, comme cela a été le cas ces dernières années au Royaume Uni, serait bien évidemment préférable à ce silence, cette omerta plus ou moins concertée, imposée par les directions et les hiérarchies rédactionnelles.

Nous pouvons en revanche être plus que satisfaits de la création, en 2012, de l’Observatoire de la déontologie de l’information. Compte tenu des résistances typiquement françaises à l’autorégulation, il se confirme que c’était bien l’étape indispensable sur notre route, qui nous permettra d’élargir encore notre audience et de démontrer concrètement l’intérêt de notre démarche ; ainsi que le peu de consistance des résistances conservatrices, qu’elles viennent des patrons de média, des hiérarchies rédactionnelles ou de ceux qui, à gauche notamment, crient encore « liberté, liberté » en gommant la nécessaire responsabilité qui lui est indissociable.

Une année 2014 « politique »

Forte, si l’on peut dire, de ses trente-sept adhérents cotisants en 2014, l’APCP a consacré cette année à trois dossiers principaux.

D’abord, comme en 2013, à faire en sorte que l’ODI avance et se renforce. C’était notre premier objectif. Nos amis Patrick Eveno, Manola Gardez, Pierre Ganz, Sophie Jehel, Guy Vadepied, et j’en oublie, ont été présents ou très présents dans le travail de veille et de réflexion. Cet effort va se poursuivre en 2015, par exemple avec le groupe animé par Jean-Marie Dupont sur « objectivité et honnêteté de l’information ». L’élargissement de l’ODI, dû principalement jusqu’ici aux efforts de son président, devra se poursuivre si nous voulons qu’il joue le rôle que nous attendons de lui. Mais d’ores et déjà, grâce à la qualité de son travail, il a pris une place importante voire décisive dans le paysage.

Le deuxième objectif était de consolider notre assise dans la société civile et de mieux préparer ainsi la présence du public dans une future instance. L’enquête menée auprès des conseils de presse étrangers a conforté notre vision. En revanche, une nouvelle sollicitation de nombreuses organisations, par le groupe de travail autour de Pierre Ganz, n’a pas encore permis de franchir un cap dans ce domaine. Peut-être l’actualité récente nous y aidera-t-elle demain et ce travail pourra-t-il être poursuivi dans le cadre de l’Observatoire, sans doute plus facile d’accès pour de nouveaux concours.

Le troisième objectif, amorcé aux Assises du journalisme de novembre 2013 par l’interpellation de la ministre Aurélie Filippetti, était d’obtenir le concours des pouvoirs publics dans le dialogue avec les futurs partenaires d’une instance, en premier lieu les organisations légalement représentatives de la profession.

L’audit de Marie Sirinelli, décidé dès décembre 2013, a été remis le 13 février 2014 à la ministre. Un travail remarquable et un diagnostic qui nous conforte : « La majorité des acteurs concernés paraissent favorables, ou à tout le moins non opposés, à la création d’une instance, mais aucun consensus ne semble, à l’heure actuelle, se dessiner sur le sujet ». Partant de moins que zéro sept ans auparavant, n’est-ce pas déjà pour nous un grand sujet de satisfaction ? Même si les conclusions de l’auditrice, très pragmatiques, ont déçu certains d’entre nous, elle n’en sont pas moins en phase avec l’objectif que nous poursuivons pas à pas.

Dans la foulée, nous avons, par une lettre envoyée à chacun des 925 députés et sénateurs, continué à sensibiliser les politiques. Le résultat est certes décevant, la plupart des parlementaires renvoyant vers leurs collègues spécialisés des commissions ad hoc, mais rien n’est négligeable. Et la question écrite de Paola Zanetti, député PS de la Moselle, a permis d’avoir une réponse claire de la nouvelle ministre Fleur Pellerin.

Après l’inertie manifestée par son prédécesseur, la réactivité de Fleur Pellerin et de son cabinet a été la bienvenue. En gros, le ministre nous dit : « trop risqué d’imposer dans le contexte actuel la création d’une instance, mais avancez en vous appuyant sur l’ODI et nous vous soutenons ». C’est beaucoup plus qu’aucun ministre depuis que l’APCP existe, qu’il s’agisse de Chritine Albanel, de Frédéric Mitterrand ou d’Aurélie Filippetti (aucun d’ailleurs n’a jusqu’ici accepté de nous recevoir…). Nous devons donc poursuivre les contacts, préciser quels concours le ministère peut nous apporter, en direction notamment des patrons de média, savoir aussi quelle est sa position à l’égard des attributions et des initiatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel en matière de déontologie de l’information…

Yves Agnès 15 janvier 2015


[1] Yves Agnès, Claire Alet, Françoise Decressac, Anne Dhoquois, Nathalie Dollé, Manola Gardez, François Longérinas, Jean-Luc Martin-Lagardette, Philippe Merlant, Bertrand Verfaillie.

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