La publication de la photo du petit Aylan Kürdi continue d’être l’objet de réflexions. Une table ronde à Paris sur ce thème et une enquête internationale auprès de conseils de presse sur les plaintes éventuelles que ce cliché aurait pu provoquer.
Sur vingt conseils de presse qui ont répondu à l’enquête de l’Alliance des Conseils de Presse indépendants d’Europe (AIPCE), treize n’avaient pas été saisis de la photo du petit garçon mort noyé. Les 25 plaintes arrivées dans les autres conseils de presse portent sur le respect de la dignité, sur l’atteinte à la vie privée sur des soupçon de manipulation de l’opinion ou de manipulation du document lui-même, enfin sur la recherche du sensationnel.
Toutes ces plaintes ont été rejetées avec l’argument essentiel que ces photos sont d’un très grand intérêt général. Le Presserat allemand, qui a reçu 19 des 25 plaintes recensées, explique même que cette « image est un document de l’histoire ». L’instance australienne souligne son utilité comme source de « conversations en privé et sur les forums politiques ». Les sages allemands analysent en outre que cette publication ne viole pas la notion de protection de la personne puisque « toutes les images montrent le garçon de côté, et que son visage est n’est pas visible ». Les néo-zélandais, saisis pour image choquante, notent que les éditeurs ont pris soin de placer ces photographies « là où elles ne pouvaient pas être facilement vues par accident ».
Trois critères à prendre en compte
Bien que non saisi, le Conseil de déontologie journalistique belge a choisi de participer au débat public sur ces photos dans une position générale sur les critères de prendre en compte avant de décider de publier ce genre d’image. Il en retient trois : l’intérêt public, la vérification de l’origine de l’image, l’importance et la pertinence du contenu informatif, et conclut que la publication de cette image est tout à fait pertinente. Dernière remarque , venue d’Autriche, où l’Österreichische Presserat pointe que la publication de l’image des cadavres dans un camion retrouvé sur une aire de stationnement d’autoroute a été considérée à l’inverse comme une violation de la dignité des personne décédées: elle n’apportait rien au fond du papier qu’elle illustrait, qui était consacré à l’acte criminel du conducteur du camion et à l’enquête.
Cette approche comparative a été un des thèmes du débat du 7 décembre organisé à Paris par la section France de l’Union de la Presse Francophone (UPF). « Est‐ce qu’on la montrerait dans les mêmes conditions si c’était un enfant européen, voire français, voire parisien » a demandé un des intervenants sans obtenir réellement de réponse. « On s’épargne l’image de nos propres douleurs que l’on veut propres » a fait remarquer un autre en rappelant qu’on n’a vu aucune image des victimes du 11 septembre 2001 ou de l’assaut du Bataclan.
Ne pas diffuser sans s’interroger
Après un long détour sur la crise du photo-journalisme – lire ici les minutes de cette rencontre - les échanges ont montré la nécessité d’un travail professionnel, depuis le terrain où le reporter photographe doit réfléchir à ce qu’il fait, « avoir un regard », jusqu’à l’équipe du journal qui doit se poser des questions, ne pas se comporter en « monstres froids ». Car le journalisme, contrairement aux réseaux sociaux, est de dire qu’on « ne peut diffuser des photos sans que personne ne contrôle quoi que ce soit » sans un débat entre gens « raisonnables, responsables, qui ont un minimum de déontologie ». P.G.
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