Loïc Hervouet, journaliste qui a notamment travaillé dans la presse régionale avant de diriger l’École Supérieure de Journalisme de Lille puis d’être le médiateur RFI , a été un auditeur attentif de l’après midi organisée par l’APCP et Journalisme et Citoyenneté* pour faire le point des positions de journalistes, des éditeurs et des politiques sur la création d’un conseil de presse en France. Ici l’intégralité de son intervention en conclusion / synthèse de ces travaux.
Disons le tout net. Je n’ai aucun lien particulier avec Michel Houellebecq. Si j’avais voici deux ans lors du débat sur le même thème lors des Assises du journalisme de Strasbourg entrepris de dresser la carte et le territoire du sujet en utilisant deux titres de ses ouvrages, c’était pour un clin d’œil au prix Goncourt alors dans l’actualité. Relevant sept convergences, deux divergences, j’avais utilisé pour qualifier deux émergences deux titres de l’auteur : la possibilité d’une île pour qualifier l’idée d’un apparentement ou d’un adossement du futur conseil à la commission de la carte et une extension du domaine de la lutte pour assigner à une telle structure non seulement un magistère moral mais une fonction de réflexion et de protection du journalisme.
Figurez-vous que Houellebecq vient de sortir un nouvel ouvrage, Configuration du dernier rivage, et je ne me gênerai pas pour l’utiliser en le déformant même pour ce que j’espère être un dernier virage avant la ligne droite qui nous mènera à la création de ce conseil de presse. Quoiqu’un dernier rivage puisse aussi être celui de l’arrivée à bon port…En 2010, on avait dressé une liste des convergences, divergences, émergences, et des urgences. On ne les répétera pas: elles restent valables pour l’essentiel (voir bulletin n°2 de l’APCP)
Ambiguïtés levées, définitivement levées
- confusion du projet avec celui d’un Ordre: hors sujet pour mille raisons, dont celle que les journalistes n’exercent pas une profession libérale, mais, même pigistes, sont des salariés.
- assignation d’un rôle de tribunal: le conseil proposé ne revendique ni n’assume aucune fonction coercitive, il se situe dans le domaine pédagogique et incitatif.
- solution miracle: le conseil n’est pas LA solution, mais un des éléments de la solution, un des outils de progrès et de reconquête de la confiance.
Qu’on se le dise: celui qui jouerait encore de ces confusions destinées à nuire commettrait une désinformation relevant sans conteste de la dénonciation au conseil de presse. Retenons en souriant la définition belge d’un « gendarme sans matraque« .
Avancées dégagées
Ce sont en quelque sorte les particules élémentaires constitutives d’une instance.
- un consensus syndical affirmé autour de textes de référence convergents, avec une mobilisation actée du premier d’entre eux, le SNJ
- un accord conceptuel sur la vocation nécessairement globale et multimédia d’une telle instance, consacrée à toutes les formes de l’information, écrite, audiovisuelle et numérique
- un consensus réitéré sur la nécessaire participation du public à une telle instance.
Opportunités fléchées
Elles pourraient aider à construire la plateforme, et donner le sens du combat:
- Montée inéluctable du besoin de médiation, des instances de médiation, dans tous les secteurs de la société.
- Exemplarité de certaines initiatives comme celles du dispositif créé au Monde, avec à la fois des textes de référence, des procédures et des dialogues programmés ou encore les travaux de recensement et de réflexion de l’ODI (Observatoire de l’information).
- Mobilisation européenne pour des conseils de presse: l’initiative européenne pour généraliser ces instances de médiation repose sur l’expérience des conseils existant dans 19 pays sur26
- Révision des aides à la presse en France: le réexamen de leur justification passe par un supplément d’âme quant à la prise en compte de l’intérêt général, donc des préoccupations d’ordre déontologique.
- Refonte des attributions du CSA: ce réexamen des fonctions et de la composition de cet organisme, qui s’est auto attribué une vocation déontologique, met à l’ordre du jour la question de la régulation, donc celle d’un conseil de presse.
- Dynamisme des instances francophones, au Québec historiquement, très bientôt au Canada, actuellement en Suisse et en Belgique. Et si la France découvrait la modestie de s’inspirer de ce qui réussit ailleurs?
- Engagement sans précédent du parti majoritaire au Parlement sur l’intérêt d’un conseil de presse.
Point de passage obligés
Comme pour la Grèce**, la déploration ne suffit pas. Il faut donc baliser la navigation vers le rivage à travers quelques passes obligées, et néanmoins malaisées:
- Il faut trouver les moyens de fracturer l’opposition larvée d’une majorité d’éditeurs, au-delà des francs-tireurs aujourd’hui favorables: montrer que la vertu est payante, en tout cas nécessaire : une rencontre avec les patrons anglais qui ont de nouveau préféré l’initiative plutôt que l’attente de projets gouvernementaux? Une invitation des éditeurs belges ou suisses, pour témoigner que le conseil de presse n’est pas le diable venant prendre le pouvoir dans les médias? Une pression des politiques pour faire accepter le principe d’une contrepartie à l’aide publique?
- Il faut trouver les moyens d’instaurer sur ce sujet un dialogue constructif entre journalistes et éditeurs … qui aura bien besoin d’une instance de médiation.
Loïc Hervouet
*Le site de Journalisme et Citoyenneté propose ici les vidéos des intervenants et un résumé des débats
** Loïc Hervouet fait allusion à plusieurs interventions demandant de ne pas se limiter à condamner la fermeture du service public de l’audiovisuel en Grèce
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