Interview d’Aurélie Filipetti

« Tout ce qui favorise la médiation entre la presse et le public est à encourager », affirme celle qui allait devenir la nouvelle ministre de la culture et de la communication. L’APCP l’a interrogée le 10 avril 2012, en pleine campagne. Aurélie Filipetti était chargée, dans l’équipe de campagne de François Hollande, des secteurs culture et médias. 

 

Comment jugez-vous, du point de vue de la démocratie, la situation de l’information ? 

Je suis très inquiète. Les médias n’ont plus suffisamment de liberté, d’indépendance. C’est un vrai recul, comme en témoigne la place de la France dans le classement de Reporters Sans Frontières. Cette place est symptomatique d’une série de crises : concentrations dans la presse écrite ; implication de groupes industriels recevant des commandes publiques dans de grands médias, un cas unique au monde qui demande une attention particulière ; législation insuffisante sur la protection des sources… L’indépendance des rédactions est bafouée, des journalistes espionnés, de fortes pressions sont exercées par le pouvoir politique. C’est un recul, une grande source d’inquiétude.

Et sur la qualité de l’information ?

Je suis pour l’indépendance des médias et des journalistes. On n’a pas à juger le fond. Le combat à mener est de garantir les conditions qui leur permettent de faire leur travail correctement. Or beaucoup d’entre eux sont précarisés et ne sont pas dans de bonnes conditions pour y parvenir. Dans quels domaines et avec quelles limites le « politique » doit-il intervenir en faveur de l’information des citoyens ? Il faut d’abord doter les rédactions d’une reconnaissance juridique, afin qu’elles retrouvent cette capacité et cette liberté qui devrait être la leur. Il faut aussi redéfinir des seuils de concentration pour l’ensemble des médias, et que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, pour ce qui le concerne, tienne compte de ces nouveaux critères dans la régulation dont il est chargé. Pour la presse écrite, il faut éviter dans les régions des situations de monopole qui s’aggravent. Dans les situations où un journal est en difficulté, les repreneurs possibles ne sont pas forcément des industriels… Il faut aussi revoir la législation sur les archives et les données publiques, afin d’assurer une ouverture très large à tous les citoyens.

 

Faut-il réformer le CSA ?

Oui, et d’abord son mode de nomination. Les membres du CSA doivent être nommés par une majorité qualifiée des deux commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat, afin d’assurer une nomination réellement démocratique et pluraliste. Mais le CSA doit aussi disposer de pouvoirs renforcés, et de sanctions renforcées, pour lutter notamment contre les concentrations. En matière de déontologie, on peut s’interroger aussi sur l’élargissement des compétences du CSA et les sanctions possibles.

Ne faut-il pas assurer une représentation du public ?

Le CSA doit être composé de personnalités compétentes. Avec un nouveau système de nomination des « sages » de l’audiovisuel, par des parlementaires de la majorité et de l’opposition, le CSA deviendra vraiment indépendant. Faut-il favoriser l’adoption d’un code déontologique reconnu par toute la profession ? Il ne faut pas réinventer une charte déontologique, il en existe déjà. De  plus, ce n’est pas au politique de dire ce que doit être un texte déontologique, c’est à la  profession. En revanche, la législation peut obliger à ce qu’un code, négocié dans l’entreprise, soit annexé au contrat de travail, afin que le journaliste soit protégé lorsqu’il le respecte.

Êtes-vous favorable à une instance nationale de déontologie de l’information, de type « conseil de presse » ?

Oui, c’est une bonne idée, ce serait quelque chose d’utile. Tout ce qui favorise la médiation entre la presse et le public est à encourager. Il ne faut pas opposer les journalistes et le public (d’ailleurs, les jeunes journalistes sont désormais totalement dans l’interactivité, ils n’ont plus de réflexe méfiant vis-à-vis du public). Le politique peut encourager la création d’une telle instance, mais sans être trop dirigiste.

Que proposez-vous d’autre dans le domaine de l’information ?

Nous voulons aussi une réforme des aides à la presse. D’autre part, je suis très attachée à l’éducation aux médias et il faut la développer. C’est essentiel pour avoir des citoyens éclairés, capables de bien « traiter » les informations qu’ils reçoivent.

Propos recueillis par Yves Agnès et Guy Vadepied

 

Interview publiée dans le bulletin n°18 fichier pdf

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