Dans sa prise de position du 9 février 2007, le Conseil de presse suisse (Presserat) donne raison à l’association Info en danger qui l’avait saisi le 2 avril 2006.
Créé par cinq journalistes romands – dont Christian Campiche, journaliste à La Liberté – inquiets « des dérives qui affectent l’activité des journalistes, notamment face aux annonceurs», Info en danger avait déposé plainte contre «une pratique désormais systématique dans certains journaux» consistant à « mélanger le contenu rédactionnel et les messages à caractère publicitaire au point que l’on a l’impression souvent de lire un catalogue de grand magasin plutôt qu’un journal ».
Le Conseil de la presse a décidé de se pencher sur le problème de fond soulevé par la plainte : « Constate-t-on l’existence de dérives largement répandues, aboutissant à une contamination du contenu rédactionnel par les messages publicitaires ? »
La 2ème Chambre du Conseil a procédé à diverses auditions qui ont « confirmé (son) sentiment selon lequel les rapports entre rédactions et annonceurs ont connu ces derniers temps une évolution importante. Ces mutations sont liées d’une part au contexte économique (situation très tendue du marché de la publicité, apparition des journaux gratuits, développement de l’internet) et d’autre part à la place toujours plus importante que prennent les marques et la consommation dans la culture contemporaine ».
Les acteurs des médias adhèrent en janvier à un Code de conduite
Cette évolution a amené la conférence des rédacteurs en chef à rédiger en mars 2006 un Code de conduite qu’elle a soumis aux annonceurs et aux éditeurs. Ces derniers ont adhéré en janvier 2007 à une version simplifiée de ce code.
Il pose les règles suivantes: « Tous les acteurs – rédactions, éditeurs et annonceurs – respectent (…) le principe d’une pleine transparence envers le public. L’utilisateur de médias doit pouvoir distinguer clairement les contenus qui sont de la responsabilité de la rédaction et ceux qui sont (…) payés par des tiers. » Le non-respect de ce principe « atteint la crédibilité de la rédaction, de l’éditeur et des annonceurs (…) La rédaction et l’éditeur ont la responsabilité commune d’assurer une séparation claire pour le public entre contenus rédactionnels et publicitaires. Les annonces ne doivent pas donner par leur forme l’impression qu’elles font partie de la partie rédactionnelle d’un média. La typographie doit notamment être clairement différenciée. Dans les cas douteux, l’annonce doit être signalée clairement en caractères d’une taille suffisante. Toute forme de sponsoring doit être signalée. »
Le Presserat détaille toute une série de manquements constatés à la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste qui stipule que les journalistes doivent « s’interdire de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire ».
Il souligne notamment que « la crédibilité journalistique est particulièrement menacée par la multiplication d’articles dont la seule fonction est de présenter un produit. C’est avant tout sur ce type d’articles d’ailleurs, qu’Info en danger a alerté le Conseil de la presse ».
Dans un premier alinéa de sa conclusion, le Conseil rappelle qu’« une claire distinction entre contenu rédactionnel et publicité est essentielle pour la crédibilité des médias, quel que soit l’état des rapports de force entre éditeurs et annonceurs ». Il salue l’adoption par ces derniers du Code de conduite élaboré par la Conférence des rédacteurs en chef et visant à renforcer la transparence dans ce domaine.
Dans ses autres alinéas, le Conseil de presse met en exergue des précisions déontologiques dont nous, journalistes français, pourrions nous inspirer :
2. Toute consigne rédactionnelle émanant d’annonceurs contrevient au chiffre 10 de la «Déclaration». Les rédactions doivent refuser les demandes de contenu rédactionnel à visée promotionnelle directe ou indirecte provenant d’un annonceur.
3. Les offres de sponsoring peuvent être acceptées, si elles se limitent à un cadre assez large pour n’être pas assimilable à une consigne. Dans tous les cas, un article dont le financement n’est pas entièrement assuré par le média concerné doit être signalé comme tel.
4. Les rédactions doivent choisir librement les objets et les produits dont elles rendent compte. Un article qui présente un objet ou un produit doit être élaboré, comme un autre, dans le respect des règles déontologiques. Les lecteurs doivent être mis en mesure de reconnaître les informations vérifiées, celles qui ressortent de l’appréciation du rédacteur et celles qui sont de simples affirmations du producteur. La source des informations doit être précisée. Les textes repris de communiqués doivent être signalés comme tels.
5. Un ton trop complaisant dans la présentation d’un produit, notamment la reprise de slogans publicitaires, nuit à la crédibilité des médias.
Le commentaire de Christian Campiche
« Reste à savoir ce qu’il adviendra de ces recommandations qui n’ont pas de pouvoir contraignant, seulement moral, précise Christian Campiche. L’arrêt du Conseil légitime certes les résistances des rédacteurs qui ne veulent pas écrire n’importe quoi, mais il accorde trop d’importance à un accord dont presque personne n’a entendu parler en Suisse romande. Cet accord n’est que la portion congrue d’un projet élaboré au printemps 2006, parallèlement – c’est curieux – au dépôt de la plainte d’Info-en-danger. Le projet devrait être envoyé aux rédacteurs en chef membres de ladite Conférence qui auront à s’engager formellement d’ici à janvier 2008.
Le hic, c’est que plusieurs responsables de journaux (certains gratuits apparemment) n’en feraient pas partie. En outre, il est question de placer à la présidence de la Conférence le journaliste Peter Rothenbühler, un personnage qui coiffe justement un groupe de titres (liés au Matin) épinglés dans notre plainte.
Cette complexité reflète bien finalement l’embarras des dirigeants de journaux. Mais la situation est intéressante et rien n’exclut des évolutions positives. Il va de soi que le groupe Info-en-danger suit les événements de près. »
Jean-Luc Martin-Lagardette
=> Le texte complet de la prise de position du Conseil de presse est lisible sur son site :
http://www.presserat.ch/2007.htm
Hello je découvre ce post avec retard mais bravo pour la presse suisse de défendre son indépendance face à l’influence des publicitaires (et d’ailleurs des politiques): le temps est un bon journal (Lausanne) . Idem pour le JT suisse (le 19:30), présenté par le remarquable Darius Rochebin et ses questions redoutables (il y a des ministres suisses qui en ont peur, c’est bon signe).