Journaliste à Pro Info (agence d’information, Lausanne), Philippe Golay fut le 2ème président du Conseil de presse suisse (Presserat). Il évoque pour nous le lancement de cette instance de médiation entre les médias et le public.
« Nous étions une dizaine de journalistes au départ, soucieux d’éthique, de développer une philosophie du bon journalisme. Le besoin se manifestait aussi dans le public des lecteurs critiques des quotidiens de Lausanne et de Genève. L’espace disponible pour cette critique dans les journaux était très insuffisant. Il n’y avait pas de sphère extérieure pour accueillir ces critiques mais aussi pour permettre aux rédactions de réfléchir ensemble sur les questions déontologiques. L’intérêt porté par les autorités était inexistant au départ : il est venu par la suite.
Notre objectif principal était d’offrir aux journalistes une chambre de réflexion commune pour savoir comment réagir face aux critiques du public, des institutions, des entreprises, sur les malfaçons de l’info, la confusion fait/commentaire. Le plus gros problème était celui des rapports entre l’info et la pub, l’accusation d’être vendus aux lobbies.
Le Conseil est devenu un organe collectif de réflexion, et un appui certain aux journalistes désireux de démontrer leurs pratiques déontologiques pas seulement vis-à-vis du public, mais aussi par rapport aux éditeurs. Grâce aux avis publiés par le Conseil, on a réussi à obtenir un certain respect, un peu plus de crédibilité, tant auprès des lecteurs que face aux éditeurs. Le nombre des critiques du public a ainsi décru progressivement. Les avis rendus sont assez facilement publiés dans les médias.
L’enthousiasme du départ a été progressivement douché devant les résistances constatées. Il nous a fallu six ans de démarches pour mettre en place le Presserat. Le problème a été surtout celui des langues (allemand/français). Pendant la période de lancement, on se réunissait tous 3/an et le président et vice-président tous les deux mois.
Les éditeurs voulaient participer dès le début : les journalistes ont refusé. Ils ont sans doute eu peur de perdre leur indépendance. C’est dommage : je pense aujourd’hui qu’il serait bon de les associer à un certain stade de la réflexion.
Si c’était à refaire : il faudrait créer au sein des grandes rédactions des postes d’observateurs, des correspondants officieux, pour relayer les débats, les soucis au sein des journaux. Ce qu’il faut observer : la part d’esprit critique sur elle-même de la rédaction ; sa capacité à écouter les réactions du public. Il faut pouvoir compter sur des confrères qui s’investissent sans forcément être poussés par le public.
C’est important de collecter des infos :
- sur les pratiques éthiques dans les rédactions
- sur les problèmes rencontrés par les rédactions
- sur les récriminations du public
En gros, pour justifier la création d’un Conseil, il faut avoir une liste de critiques et d’attentes de l’opinion (institutions, entreprises, associations, lecteurs), même chose de la part des rédactions. Avoir également une liste des journalistes et personnes ressources, si possible par régions.
Il faut aussi sensibiliser le grand public. Pour cela, je diffusais et continue à diffuser, dans tous les milieux, la charte des droits et devoirs des journalistes. Il faut habituer le public à penser déontologie, à comprendre en quoi journaliste et communication ne sont pas la même chose. Il faut insister sur la responsabilité de la presse. »
Propos recueillis par Jean-Luc Martin-Lagardette
Le 09/02/07.
Je rejoins votre idée sur l’éducation du public. Qui sait, parmi les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs le poids et l’organisation si perfectionnée des services de presse, de communication, directions marketing sur l’information donnée ? Sait-on aussi que dans une majorité de journaux (grand-public comme professionnels) ce ne sont plus des patrons de presse qui gouvernent mais des fonds de pension ou des structures totalement étrangères au journalisme ?
Sait-on combien de reportages, enquêtes, etc., sont faits par des journalistes invités par des sociétés pour la simple raison que les journaux paient de plus en plus rarement les frais de voyage et d’hébergement des journalistes qui se déplacent ? Il y a bien des aspects que notre profession enfouit volontiers pour donner l’impression d’une liberté depuis longtemps bien amputée.